Journal de Bord



Yda y Vuelta
le 31 octobre 2011    

Je me rends  à la première présentation publique de « Habitatio » au Teatre Modern de Prat de Llobregat  près de Barcelone à laquelle nous convie la Cie Mar Gomez. Disposé à vivre ce moment singulier que constitue la première confrontation d'un travail artistique avec un public, je constate, comme dans des situations similaires déjà éprouvées, que mon regard sur le travail s’enrichit des sensations indicibles que me procure cette situation nouvelle. La performance se déroule selon un scénario peu ou prou identique à ce que j’avais vu un mois auparavant. J’assiste cependant à quelque chose de nouveau qui semble nourri de la tension et de la concentration des artistes en situation de (re)présentation et par une « mise en jeu » nouvelle de Mar qui va alors concentrer une grande partie de mon attention. Affublée d’une robe au tissu imprimé fleuri et de couleurs vives, boutonnée jusqu’au menton, elle (im)pose ainsi sa « signature » de femme de théâtre. Elle déploie alors un mouvement dansé énergique, traçant l’espace, le bousculant, l’empoignant dans un don d’elle-même que je ne lui connaissais pas encore, faisant sens et orientant la dramaturgie de la proposition générale. Cette révélation est pour le peu troublante si je me réfère à la genèse du projet. Comment, à ce stade de l’expérience, poursuivre l’aventure ? Le désir exprimé de son rayonnement et par la même de sa diffusion conduit-il à devoir envisager un achèvement du travail pour tendre vers une pièce aboutie ? Quelles en seraient alors les exigences artistiques requises et par conséquent le travail de production nécessaire? Une formalisation de l’écriture est-elle souhaitable ? Ne sort-on pas alors du projet-principe initial ? Et si la pièce doit exister comme telle, dans le premier jet de sa conception, quel pourrait être son cadre de présentation, au regard des normes de diffusion traditionnelles ? De reprendre la main sur le projet et de l’inscrire dans un développement de production et/ou de diffusion, tel qu’il m’est aujourd’hui demandé de le faire, me renvoie à ces questions que je ne saurai résoudre sans une réflexion avancée et concertée avec les quatre artistes. Affaire à suivre donc.





Suite journal après filages du 16 et 17 septembre 2011
le 30 septembre 2011 
Voir deux filages à deux jours d’intervalle m’a permis de prendre connaissance du scénario imaginé en vue des (re) présentations publiques du laboratoire Habitatio. Les séquences/matériaux vues au début de l’été sont dorénavant ordonnées avec un début, un premier duo de Mar et Xavier, un milieu, deux quatuors successifs et une fin par deux duos mis en parallèle. Des tentatives de prises de paroles nourrissent les transitions entre les différents moments et tissent parfois avec la danse. Le choix des musiques ou ambiances sonores semblent déterminés ; Jany Joplin y côtoie des chants d’Opéra, ou des musiques latinos. Mes interventions d’après filages restent « techniques » ne soulignant que quelques aspects méritants d’être reconsidérés à première vue,  comme la prise de parole ou quelques mises en lien de certains moments. Le scénario ainsi posé montre que les duos se retrouvent tels qu’à l’origine sans avoir subi de transformations notoires. En quelque sorte une situation de bon voisinage…
Les présentations publiques du 27 octobre à Barcelone et du 18 novembre à Auterive permettront-elles de  faire émerger l’inédit, le trouble et le fantasque dans l’immédiateté des situations et du risque pris dans l'improvisation? 

Thierry 















« North-South Sides Story »
Poser un regard et s’exprimer sur une création chorégraphique à venir est un exercice délicat quant il s’agit d’accompagner, en tant que producteur, les artistes à l’œuvre. Il l’est d’autant plus lorsque  cela s’exerce dans le cadre d’une relation naissante et d’un projet mené par deux équipes artistiques dont les sources d’inspiration et les esthétiques sont assez éloignées. Ce regard participe de la triade dynamique du laboratoire de création « Habitatio ».
La première étape  collaborative fut celle de la prise de contact avec les 4 artistes: Mar, Fabienne, Samuel et Xavier. Exposer différents aspects de nos parcours respectifs me permet de trouver très vite des liens et des correspondances entre nous.
Savoir que Xavier côtoie depuis plusieurs année l’artiste anglais Lyndsay Kemp, se souvenir, en voyant le solo de Samuel « L’Homme qui plonge » du danseur et chorégraphe allemand Gerhard Bohner, écouter Xavier et Fabienne échanger sur leur goût commun pour une danse du « mouvement », et percevoir chez Mar celui de la fusion des disciplines, danse, théâtre et cirque, me permet alors de mieux appréhender le champ relationnel et artistique dans lequel je me trouve.
A ce stade, la page est blanche ou presque. Ils forment 2 couples d’artistes et ils se donnent deux semaines de studio pour s’approcher, se regarder, se parler, éprouver ensemble et créer les conditions de l’émergence d’éclats artistiques, excluant par nécessité tout regard extérieur.

Les premières images, captations de micro-filages de différents duos et quatuors écrits et improvisés, me permettent d’élaborer un recueil intime de réflexions , de sensations, de questions ou de rêveries, me préparant ainsi à  m’exprimer lorsqu’en viendra le moment.
Le  regard est alors nourri des images visionnées comme si ces dernières opéraient « une mise au point » de l’oeil lorsqu’il se porte « in vivo » dans le studio à l’occasion  des filages des différentes séquences qui me sont données à voir. La séquence du quatuor m’apparaît alors comme la plus « vivante », traçant un espace de jeu propice au développement d’une pièce à venir.Les tensions et aussi les incompréhensions entre les deux équipes sont palpables. Ouvrir un espace de jeu qui donne de « l’air », du plaisir de jouer et de rêver ensemble. La comédie musicale « West Side Story » est évoquée dans nos conversations informelles comme une des œuvres importantes du patrimoine chorégraphique et musical. La musique de Bernstein sonnera dès le lendemain dans le studio comme support aux nouvelles explorations.

Thierry Gourmelen
Le 2 septembre 2011